mardi 22 mars 2011

Pendu par...


Ouen, ben moi je suis mort brutalement. Et plutôt honteusement.
- T'as qu'à me raconter.
C'est ce que je fais. Ça va venir, laisse-moi penser un peu. Tu vois bien que j'ai le cerveau en compote.

Ça à commencé hier après-midi, après le travail. Genre à six heures. En me rendant au métro j'ai vu un magasin avec la porte entrouverte, et d'où ça sentait bon l'encens. Moi j'aime ça, et de l'extérieur on pouvait pas vraiment voir quelle sorte de magasin c'était, ça fait que mon nez et ma curiosité ont comme qui dirait pris le contrôle.

Non, ce n'était pas un magasin d'encens, ni un temple chinois, ni rien du genre. C'était une trappe. Un trou. Un piège. Sors les synonymes. Je suis tombé, quelqu'un ou quelque chose m'est tombé dessus, et je ne pouvais plus bouger. Je n'ai rien vu. Et c'est longtemps après, quand mes cordes vocales étaient tout en désordre, que ça a changé. Ils ont enlevé une espèce de gros matelas qui me tenait par terre.
- Qui?
Des hommes verts.
- Vraiment?
Non. C'était des Indiens. Fâchés contre moi et le reste du monde, comme d’habitude.
- Indiens d'Inde ou d'ici?
Comment peux-tu demander? T'as pas vu ceux que j'tai envoyé hier?
- J'ai pas le temps de faire toutes les connexions, moi.
Des gars de la réserve. Ils ont enlevé le matelas, m'ont attaché les jambes et les bras (ça faisait mal aux coudes), et m'ont emmené comme une poche. Dans un camion. Tout le long du trajet ils me fouettaient avec leurs doigts, des crayons, des cordes, j'sais pas quoi, mais même après 2 minutes t'es écoeuré.
- C'est sûr.
Merci. Après un bout le camion s'est arrêté et on est tous sortis. For some reason or other ils m'ont pris en photo et ensuite ils m'ont emmené dans une maison.
- En photo?
Oui. Fouille-moi pourquoi. Oh! En fait, là je comprends qu'ils m'ont photographié quand j'étais encore reconnaissable. Donc une fois rentrés ils m'ont attaché au mur et--
- Au mur? Ça sonne médiéval ton affaire.
Je sais bien. Donc rendu là mes jambes et mes bras étaient séparés et étirés, comme la toile de da Vinci. Mais pas trop trop serrés, c'est pour ça que j'ai pu me déprendre. Mais j'vais trop vite, faudrait que je t'explique la petite routine de torture à laquelle j'ai eu droit hier soir. Donc après être resté sur le mur pendant qu'eux ils ont soupé, ils ont commencé à m'arracher les cheveux. Lentement. Je leur parlais mais ils étaient pas intéressés. C'est pas de moi qu'ils voulaient quelque chose, évidemment. Anyway, j'avais pas les cheveux très long alors ça allait pas vite. Fallait qu'ils s'y prennent bien pour avoir une bonne prise. J'ai pas vu le résultat final, mais après au moins trente minutes il y en avait beaucoup par terre, avec un peu de sang, quand même, et ils ont arrêté. C'est là qu'ils ont sorti leurs couteaux.
- T'avais mal?
J'y arrive. Oui, les cheveux, ça faisait mal, mais en rétrospect... spective? En rétrospective les cheveux c'était rien. Attends que j'arrive au bâton d'hameçons! Donc, les couteaux. Tu sais, quand on est jeune, dans le bois, avec un canif et qu'on grave notre nom dans l'écorce d'un arbre?
- Où tu veux en venir toi-là?
Ben exactement. Ils m'ont brandé chacun leur tour. Des noms de gang, sûrement. Enfin, me semble. En anglais. En tout cas, j'ai remarqué qu'ils faisaient attention pour pas trop me faire saigner. Ça veut pas dire que j'avais pas mal. Oh, non. J'en pleurais encore plus que pour les cheveux. Ils étaient contents de voir ça. Paper cut fois mille! Oh man, ventre, cuisse, poitrine. Au moins ils n'ont pas sorti le sel ou le vinaigre.
- C'est toujours ça.
Tu sonnes comme ma mère.
- Merci du compliment.
T'es drôle. Tu dis ça comme si tu la connaissais.
- Pas encore, mais bon, une mère c'est une mère.
J'peux continuer? Bon. Après m'avoir coupé ils sont tous sortis de la pièce et en cinq minutes j'ai défait mes liens et j'ai ramassé les couteaux. Pis là je me suis caché derrière le sofa. Quand ils sont revenus ils ont gueulé pis ils sont tout de suite allés dehors pour me chercher. Sauf un. Je lui ai planté un couteau en travers du cou. Man, y'est tombé vite! Ça me fait rire, le tueur chauve en bobettes. J’en ai d’ailleurs profité pour remettre mes pantalons. Pudeur.
Bon là un autre est rentré, m'a vu, a vu son partner, a gueulé encore plus fort, j'ai gueulé aussi pis je lui ai sauté dessus, un couteau dans chaque main. Ça l'a forcément surpris. Histoire courte, vu que je m'éternise. Il est mort, les deux autres sont arrivés par en arrière et ils m'ont assomé.
- C'est là que t'es mort?
Non! C'était encore hier soir, ça. Ils m’ont juste assomé. Faut suivre, quand même. Fait que là j'étais attaché à une chaise quand je me suis réveillé. Mal de tête de fou mais je ne pouvais pas me toucher pour voir si je saignais. Cette fois-ci c'était trop serré pour que je puisse me déprendre. Fil de fer tourné plein de fois. J'étais seul dans la pièce pendant longtemps. Les corps des deux autres n'étaient plus là. C'était la nuit mais je ne dormais pas. Man, les choses à quoi j'ai pu penser! Demande de rançon, al qaida, lasagne, pont Champlain, Rambo 2, chimiothérapie. Je rêvais même de me brosser les dents. Surtout je pensais à ma vie, et à ma mort. J'étais pas trop jojo ça c'est sûr.

Finalement le soleil s'est levé et ils sont revenus. Ils ont pris d'autres photos. Fallait que je sourisse mais j'avais pas envie. Ça les faisait rire. Pis là un nouveau est arrivé. Il portait des lunettes fumées rondes, genre vieille mode, mais ça ne le dérangeait pas on aurait dit. Il avait aussi un sac qui avait l'air pesant. Il m'a parlé un peu, half en anglais pis half en français, disait que hier c'était rien de personnel entre nous, juste idéologique, mais que là, avec leurs deux chums morts, ils m'en voulaient tous pas mal. J'ai plaidé ma cause en disant qu'ils auraient tous fait la même chose, mais justement, il m'a dit que non, qu'eux ils auraient accepté leur sort avec honeur. Me semble.

Ça fait que là il a ouvert son sac et en a sorti des choses bizarres, instruments de tortures artisanales. Et certains très anals, en effet. Surtout le bâton à hameçons. Je vais trop vite encore une fois. Donc il dit que nous on est des faibles, des chigneux, des branleux, tout ça. Qu'on pleure à rien. Moi je ne dis rien. Il a raison, sert à rien de protester. Ils me détachent une main, un gars me la tient sur la table et un autre me met un couteau carrément sur l'oeil.
- Celui qui est crevé?
En plein lui. Le gars aux lunettes dit qu'il faut que je laisse ma main immobile sur la table pendant qu'il me coupe les doigts, sinon l'autre va me planter son couteau dans l'oeil. C'est pas que je ne les croyais pas, plus maintenant, mais bon, je ne crois pas que ce soit humainement possible de ne pas bouger. Donc un doigt et un oeil en moins, en quelques secondes. J'ai crié comme un dément et ils ont rit comme des malades. Sauf les lunettes. Lui il m'a chicané comme un petit kid. « Stop crying, you pisser! » et tout ça. Ils ont ensuite recommencé avec un autre doigt et l’autre œil, mais cette fois-ci c’était juste pour me niaiser. Ils m’ont coupé le doigt mais ils n’ont rien fait à mon œil. Je suppose que c’est pas aussi plaisant de torturer quelqu’un qui ne voit pas ce qui va lui arriver.
- J’imagine, oui. Mais je vois qu’il te reste quand même sept doigts, alors ils n’ont pas continuer trop longtemps.
Ouen, en fait, le troisième doigt c’était… plus tard, je crois. Me rappelle pas trop. Non, ce jeu de couteau dans l’œil s’est arrêté là.

Rendu là ils ont semblé se calmer. Ils avaient beau m'hair super gros, je suppose que ce n'est pas facile de voir quelqu'un souffrir de même. Je parle de l'oeil, surtout. Dans toute ma vie, il n'y a qu'une seule fois que j'ai eu plus mal que ça, et c'est à cause du bâton à hameçons. Mais leur humanité passagère a pris le champ assez vite quand je me suis mis à les insulter.
- Tsk, tsk, tsk.
Je sais bien, mais ça faisait passer le temps. Les lunettes a demandé aux deux autres de sortir et ils n'ont pas attendu. Seuls tous les deux, il m'a expliqué que pour eux, être capturé par l'ennemi et torturé was a rare honor, et que je ferais mieux de rester tranquille et obey his every word. Il a dit tout ça (et plus quand même, je coupe court moi-là), sans f-word, s-word, c-word ou whatever autre word. Ça lui donnait l'air d'être en contrôle. J'avais peur de lui, mais j’avais plus grand chose à perdre. Je savais bien qu'il allait me tuer de toute façon. Ça fait que je lui ai dit que son idée était basée sur une fausse prémisse, qu'on était pas des ennemis, qu'il était fâché contre la mauvaise génération, et que ses lunettes faisaient dur. Tout ça sans sacre. Juste pour faire calme moi avec. Mais je ne l'ai pas impressionné et comme réponse il a rouvert son sac. Cling clang bring brang ça sonnait comme un coffre à outils de vieux bonhomme. Il en a sorti un morceau de manche à balais d'environ dix centimètres de longs, avec un anneau à un bout, auquel il a attaché une corde un peu plus tard. Mais l'anneau ne m'intéressait pas autant que la quarantaine d'hameçons qui sortaient du bâton...
- Ah, on y arrive.
... bien cordés en belles lignes droites. Il me dit que c'est son favorite little thing, qu’il est brand new, et qu'il rêve de s'en servir to catch a big fish. Juste à voir ça, ou demi-voir, en tout cas, avec un seul oeil, j'en avais mal à la bouche. Ça va s'accrocher à la langue, l'intérieur des deux joues et le palais, tout en même temps. Pauvres poissons. Je me sentais mal. Et Lunettes le voyait bien. J'avais la moitié de la face couverte de sang, et l'autre blanche de peur, genre de yin yan morbide, mais je ne pouvais rien cacher.
C'est là qu'il a dit qu'il fallait renlever mes pantalons pis mes bobettes en plus. What?!? que je dis. Take 'em off. Now!
- Donc, les hameçons, c'était pour...
Dégueu, je sais. En chandail, il m'a traîné dehors, où les deux autres m'ont pris par les bras et m'ont emmené près d'un grand arbre, un chêne, et Lunettes a attaché l'anneau de son bâton après un long câble qui tournait autour d'une grosse branche très haute.
- Et là ils t'ont...
Plutôt rapidement, oui. Bend forward! Spread your legs! Et vlan, c'était dedans. La pire de toute les sensations. Ils ont tiré sur le câble pour me faire monter. Je croyais, ou j'espérais, j'sais pas trop, que j'allais déchirer drette là, mais ça s'est pas fait si vite. Ah! La douleur. Je montais par à coups, évidemment, et à chaque fois je crois qu'un hameçon de plus prenait prise. T'as déjà essayé de détacher du velcro par le côté?
- En effet, c'est très solide.
Ça n'allait jamais se défaire. Tout le monde le savait. Donc une fois bien haut, genre 20 mètres, ils ont attaché leur bout au tronc, et ont ressorti leurs iPhones pour me prendre en photo. Je me souviens à ce moment-là avoir pensé qu'ils auraient au moins pu avoir la décence d'avoir des BlackBerry. Mais non. En plus de ne pas payer de taxes, ils achètent American. C'est fou comment nos pensées fonctionnent des fois.
- Tu étais pendu par le...
Le problème, c'était mes jambes. Je ne savais pas trop comment les mettre pour que ça fasse moins mal. Verticales par en haut? Collées sur mon corps? En genre de W? Le corps complètement parallèle au sol? J'arrivais juste pas à être confortable.
Et après je sais pas combien de temps (moi je passais de conscient à inconscient sans arrêt, alors le temps, pfft!), tout a arraché et je suis tombé sur la tête. Je crois que mes trippes sont restées en haut, peut-être avec le reste de mon entre jambes. Et c'est comme ça que je suis mort, monsieur Pierre.
- Euh, c'est "Saint" Pierre.
Whatever.


The End

Oui, mais l’autre doigt, lui?